Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Alima Boumediene-Thiery et des membres du groupe socialiste dont nous débattons aujourd’hui tend à modifier les articles 63 et suivants du code de procédure pénale.
Le 24 mars dernier, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de la nécessité de réformer la garde à vue en examinant la proposition de loi présentée par notre collègue Jacques Mézard.
Le groupe UMP avait alors considéré qu’il était plus opportun et plus cohérent de prévoir cette réforme dans le cadre de la procédure pénale.
Cette réforme fait l’objet d’un avant-projet de loi qui devrait, à la suite de la concertation engagée par le ministère de la justice, se traduire vraisemblablement par deux projets de loi.
Au regard des nombreuses propositions qui visent à réformer la garde à vue, déposées sur le bureau tant de la Haute assemblée que de l’Assemblée nationale, nous vous renouvelons notre souhait d’examiner par priorité les questions touchant à la garde à vue.
Chacun est en effet bien convaincu de la nécessité de réformer aujourd’hui ce dispositif, et ce compte tenu non seulement de notre exposition au risque d’annulation d’un certain nombre de procédures pour non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme mais aussi des nombreuses saisines du Conseil constitutionnel par les avocats, au lendemain de l’entrée en vigueur de la procédure de questions prioritaires de constitutionnalité, le 1er mars dernier.
Il y a là un réel problème de sécurité juridique, en particulier lorsque les tribunaux de première instance annulent des gardes à vue.
Si les dispositions du code de procédure pénale se trouvaient ainsi écartées, il n’y aurait plus rien pour nous prévenir d’une justice impuissante à faire son office sereinement et efficacement. Devant ce risque, il paraît indispensable de légiférer rapidement, notamment pour ne pas laisser nos concitoyens exposés à cette insécurité juridique.
L’arrêt Medvedyev c/France, rendu le 29 mars dernier ne remet pas en cause le statut du parquet français. Il rappelle toutefois que le magistrat doit présenter des garanties d’indépendance face à l’exécutif. Pour ma part, je veux souligner que l’avant-projet de loi tend plutôt à renforcer cette autonomie.
Or le texte que nous examinons aujourd’hui ne traite à mon avis que trop partiellement la question – peut-être par excès de précipitation – pour apporter une véritable réponse et garantir un dispositif sans faille.
Ce qui était vrai en mars dernier l’est encore aujourd’hui. Je pense, comme M. le rapporteur, que la réforme globale de la procédure pénale annoncée pour la fin de l’année 2010, dans laquelle s’inscrirait la modification du régime de la garde à vue, permettrait de satisfaire à cette exigence, sans accumuler toute une série de textes parcellaires qui nuirait à la clarté juridique de l’ensemble.
Peut-on envisager l’adoption de cette proposition de loi qui subordonne le placement en garde à vue à l’autorisation du procureur de la République pour les infractions passibles d’une peine inférieure à cinq ans d’emprisonnement, alors même que les modalités d’intervention du parquet présentent de réelles incertitudes ?
Il faut faire preuve, je crois, de pragmatisme. Même s’il s’avère évident que la réforme de la garde à vue est indispensable, nous devons l’appréhender en concordance avec les divers travaux menés sur la procédure pénale. Il s’agit notamment d’attendre les conclusions du groupe de travail animé actuellement par les sénateurs Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel. Cette coprésidence par la majorité et l’opposition traduit bien la volonté d’aboutir, sur un sujet si important, à un résultat consensuel qui dépasse largement les clivages partisans.
Limiter la garde à vue aux strictes nécessités de l’enquête, comme le prévoit le texte du Gouvernement, permettrait effectivement de lutter contre la banalisation de cette procédure. Ce projet prévoit, pour les infractions punies de moins de cinq ans d’emprisonnement, qu’une audition libre puisse être réalisée, sans contrainte et pour une durée maximale de quatre heures. Les personnes auditionnées pourront à tout moment demander leur placement en garde à vue, afin de jouir des droits associés à cette procédure.
Plus personnellement, je ne conteste pas le bien fondé, l’intérêt des dispositions présentes et l’utilité de certains compléments apportés par la proposition de loi que nous examinons, par rapport au précédent texte de mars dernier. Ainsi, possibilité est donnée cette fois-ci à l’avocat d’avoir accès au dossier pénal de son client. La communication du dossier pour les actes d’enquête auxquels est associé le gardé à vue paraît en effet un préalable essentiel, sans lequel le texte semblerait bien vide de sens et pourrait même conduire l’avocat à conseiller au gardé à vue de refuser de répondre, comme il en a le droit.
Mais je crois aussi qu’il ne faut pas se leurrer : cette disposition entraînera des difficultés matérielles évidentes. Dans de nombreux cas, en effet, le dossier est constitué au fur et à mesure des auditions, comme l’avait souligné M. le rapporteur.
Au regard de ces difficultés fonctionnelles, l’avant-projet prévoit un deuxième entretien à la douzième heure. En cas de prolongation au-delà de la vingt-quatrième heure, l’avocat, ayant eu accès aux comptes rendus des interrogatoires déjà menés, pourra assister aux auditions.
Les articles 4, 5 et 6 tendent à unifier les régimes de la garde à vue. La présence de l’avocat est requise dès le début de celle-ci pour la criminalité et la délinquance organisées, ainsi que pour la garde à vue d’un mineur.
Or dans le projet de réforme de la procédure pénale, le Gouvernement souhaite conserver les régimes spécifiques, et nous le soutenons. Le groupe UMP est pleinement favorable au maintien de ces dérogations justifiées par l’impérieuse nécessité de garantir la sécurité de nos concitoyens.
Ces régimes ne sauraient être alignés sur le droit commun, alors même que la privation de liberté à l’encontre, notamment, de terroristes ou d’auteurs d’enlèvement et de séquestration répond, d’une part, au besoin de rapidité dans la recherche de la vérité face à des grands délinquants et, d’autre part, à la volonté de déstructurer l’organisation criminelle en cause.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ne perdons tout de même pas de vue que la garde à vue intervient aussi, et la plupart du temps, lorsqu’il y a des victimes, et que le travail de la police et des enquêteurs est là pour leur rendre justice : il n’est pas concevable de rendre ce travail encore plus difficile.
J’évoquerai maintenant certaines incertitudes présentes dans la présente proposition de loi, qui soulèvent autant d’interrogations. Des difficultés y sont certes posées, mais rien n’est proposé pour les résoudre : que faire si l’avocat ne se présente pas quand le gardé à vue a demandé sa présence ? Suffira-t-il de mentionner qu’il n’a pu venir ? Ou bien faudra-t-il différer l’audition tant que l’avocat ne se sera pas présenté ?
Par ailleurs, je note également la disparition de la mention d’une audition immédiate pour le gardé à vue. Pour moi, c’est une bonne chose. Cette disposition critiquable semblait signifier qu’il était exclu de procéder, en cas d’interpellation à domicile, à une perquisition immédiate, ce qui aurait permis à des tiers d’avoir du temps pour faire disparaître des preuves à charge.
Or l’un des principaux problèmes de la garde à vue réside bien là : elle intervient souvent trop tôt, quand les preuves matérielles n’ont pas encore été recherchées et alors même que les personnes soupçonnées ne sont pas susceptibles de prendre la fuite. Ainsi les enquêteurs sont-ils souvent conduits à provoquer l’aveu plutôt qu’à le rendre incontournable par des preuves déjà réunies.
Trop souvent l’enquête, ouverte sur une plainte, commence par une garde à vue, quand celle-ci ne devrait être que l’aboutissement d’un processus tendant à étayer la mesure, ce qui, à l’évidence, contribue malheureusement à sa prolifération. C’est un peu moins vrai dans les affaires flagrantes, car les modalités prévues en la matière engendrent, de fait, une certaine précipitation, sans laisser aux enquêteurs le temps de réunir des preuves matérielles. Mais, là encore, l’imprécision règne : ne suffirait-il plus, alors, qu’à placer un suspect en garde à vue sans jamais l’entendre, la mesure n’ayant plus pour objet que de permettre aux enquêteurs de réunir des preuves sans que le gardé à vue puisse entraver leur action ?
Manifestement, la garde à vue est la partie d’un tout, et sa réforme envisagée doit participer à une réforme complète de la procédure pénale. Cela aurait au moins l’avantage de modifier notre approche de l’enquête afin d’éviter, autant que possible, de dévoiler trop tôt et trop largement les éléments sur lesquels elle se fonde, au risque de ne plus pouvoir les utiliser.
Le Gouvernement nous assure de son volontarisme pour que « l’amélioration des conditions de garde à vue soit une priorité dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale ».
Malgré cet engagement positif, la commission, en l’absence de texte du Gouvernement dans un délai raisonnable, pourrait, comme l’a très bien fait remarquer M. le rapporteur, « reprendre l’initiative à la lumière des travaux » engagés dans l’enceinte du Sénat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au vu de toutes ces remarques, le groupe UMP votera la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc de la commission.)